DÉPLACEMENTS 4
Nashville
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS
NASHVILLE

À Philadelphie je n’ai pas vu les cloaques la misère et les boutonneux de William Cliff. C’était en 1983. Pas question de dire que les pauvres ne sont pas là. Non.
Car on la connait bien la chanson de la misère reléguée à ses quartiers hommes invisibles nous avons tous été gentrifiés nous connaissons le refrain on lape lape comme des chiots traumatisés nos petites écuelles de café latte on reviendra plus tard pour le cri de guerre
On s’attarde sur les fresques murales l’urbanité choisie voulue le graffiti mangé à la racine



Il y a du vent noir dans cette tornade, qui glisse et glisse le long des trottoirs d’East Nashville force 3 The Basement East démonté qui avait pourtant hébergé nos nuits dans les rêves queer aujourd’hui il n’en reste plus rien on m’a parlé d’un train lancé à toute vitesse mon amie m’a dit que ça avait soufflé comme ça dans sa tête la nuit et ce bruit-là l’avait sauvée sauté de justesse dans le dressing
Nashville inondé. Nashville et sa tornade. Nashville et son coronavirus. Demain on devrait pouvoir dormir tranquille.



Il n’y a rien qui peut être dit du bout des lèvres aujourd’hui. Il faut le dire du bout des yeux, du bout des seins, du bout de la main désenclavée. Du sexe désenclavé. Je vais tout dire comme une langue non lessivée du linge sale de langue drue qui s’élève langue qui pique, une langue du sans-sourire bas les masques je dis aux petits voleurs de joie il est temps de sacrer mon règne ou de sacrer à tout bout de champ



Les oiseaux hébergent un vieux soleil ils ne savent rien du corona dansent oiseaux de malheur de bonheur dans des nids non pollués les arbres ne se recroquevillent pas non plus il y a juste des fous comme nous qui dansons sur la solitude et la peur des poumons infectés



Cette première main d’enfance posée dans la neige petite toute petite cagoulée mangée mâchée de l’enfance boueuse petite eau froide tout en haut à la pointe de la Vallée
à Nashville par accident un flocon s’est posé sur le bout de la langue j’étais à genoux dans le souvenir à ouvrir une nouvelle digue d’eau froide de mes mains fuligineuses j’ai creusé le précipice et je suis tombée à moitié sourde dans la grisaille sous cet arbre qui s’efface en millier de petites branches douces

Anne-Sophie Dubosson
Le Lampadaire, 2020