L'INTELLIGENCE DES PLANTES
Cétoines dorées


































Poux du pommier
CÉTOINES DORÉES ET POUX DU POMMIER

Non contents de s’installer dans leur cœur et de déchiqueter leurs pétales, ces horreurs de scarabées verts, qui ne sont que de vulgaires cétoines dorées, baisent dans mes roses. Pétales-draps nacrés de rose odoriférantes. Quel luxe, quel régal. Verts dans rose, draps de soir, rêve de mafieux enfin enrichis, cocaïne à foison, filles à chiffonner dans la soie rose de rêves déchiquetés. Roses roses au parfum si fort qu’il en devient artificiel, roses roses du rosier offert en hommage au mort. Pourquoi le roi du compost vient-il s’y accoupler dans l’acte dévorateur et destructeur. Comment s’en débarrasser ? Mais comment s’en débarrasser pour que vivent les roses nacre rose?

Armée d’un bâton, je fouille le cœur de la rose et fait tomber les bêtes, mais, malignes, elles s’enfoncent dans la terre quand je tente de les écraser sous mes chaussures. Il faut taper et retaper avec l’extrémité du bâton, comme on broie le mil, elles résistent et meurent, certaines les ailes, car elles ont des ailes, écartées, d’autres gardent leur forme de scarabée vert au mystère prétendument sacré. Elles sont mortes. Je construis une nature morte : roses du jardin dans un rond vase en verre au col resserré, vert encore luisant de leurs feuilles, deux réveils jaz au contour argenté, l’un orné de l’oiseau jaseur l’autre au cadran cerclé de bleu, comptent les heures, un réveil alouette japy couleur crème anglaise les accompagne, j’ajoute la cire blanche d’une bougie en forme d’obélisque à l’arête érodée, vert du cadavre de la cétoine dorée que je pose sur la plus grosse des roses.

Les cétoines enfantent dans la menthe de vertes miniatures, reproductions brillantes d’elles-mêmes. Le brillant de leur vert vif posé sur le vert sombre et pelucheux de la menthe les trahit. Vanité tragique. Je les vois. Munie d’un petit bâton, je les fait tomber une à une dans un bocal de verre à demi empli d’eau. Je visse le couvercle, secoue, leur fait vivre la tempête, cul par-dessus tête, et observe leur résistance, trois jours durant à essayer de survivre, s’agrippant les unes aux autres, se montant l’une sur l’autre comme sur une poutre à la dérive, qu’importe qui meurt, qui se noie, si ce n’est pas moi. Trois jours durant, elles combattent. Mortes, elles ont perdu leur brillant. Les doryphores mangeurs de romarin ont autrefois subi le même sort mais mouraient plus vite. Le romarin aussi.

C’est au tour du pommier de souffrir. Une attaque d’un tout autre genre de bestioles. Faute de savoir leur nom je les appelle bestioles ou encore, cherchant à les situer dans les espèces de bestioles, poux du pommier. Dénomination analogique, quasi enfantine, qui cherche à ramener l’inconnu, la bestiole, à un élément d’un monde connu maîtrisé, expliqué dont on connaît les défauts et les contours, les animaux plus ou moins aimables qui l’habitent et non ce monde apocalyptique peuplé de bêtes étranges, mutantes nées de la chaleur, monstres couvés par le soleil dans la patente intention de détruire mon jardin. Et que sont d’autres les bombyx du mûrier, les bombyx du ricin, les balanins des noisettes, ou encore le capricorne de l’épine de Jérusalem ? Des noms qui rassurent quant à notre capacité à reconnaître, comparer, classer, expliquer, éradiquer. Et comment faire autrement que de leur donner ce nom, poux du pommier, puisque ni les livres de jardiniers ni le tout-puissant internet ne sont capables de me fournir image ou description, qui correspondent à ce que j’observe sur les feuilles du pommier, de ce jeune pommier offert à l’occasion de la mort du maître de maison et peut-être, lui aussi, condamné à mort si je n’interviens pas.

Les bestioles partagent avec les poux la taille, la capacité à se reproduire de manière délirante, la résistance aux insecticides, la nuisance qui conduit celui qui les abrite à ne plus penser qu’à leur présence (ne sachant si le pommier pense, je pense qu’il pense comme un pouilleux qui ne pense plus qu’à se débarrasser de ses poux), la propagation par proximité, et ce que je croyais être leur mode de transport.

Comment les décrire ? Il fallait d’abord les apercevoir, les voir. Je suis coupable, oui, de ne pas avoir perçu suffisamment tôt leur caractère hautement nocif. Je les ai d’abord prises pour des sortes d’araignées, difficilement discernables, et je m’en suis pas plus préoccupée. Dégoût de les toucher, de les regarder. À peine des bêtes, ça ne sera rien. À ma décharge, je dois préciser que je m’étais battu, dès l’hiver, contre la cloque du pêcher, bouillie bordelaise répétée et élimination une à une des jeunes feuilles qui se tordaient sous l’effet de la cloque. Erreur funeste de celui qui ne veut pas voir le danger ou qui, trop méthodique, ne peut affronter deux dangers en même temps. Une fois que j’en aurai fini avec l’un, je me chargerai de l’autre. Contre toute attente et peut-être grâce aux menaces que j’avais proféré à l’encontre des pêchers (si malgré tous mes soins tu as encore la cloque, adieu pêcher je t’arrache), les pêchers ont résisté à la maladie cloquante. Les bestioles, elles, ont profité de mon inattention à leur égard pour proliférer et dévaster.

Contrairement aux poux, les bestioles ne sont pas noires, mais, semble-t-il, tachetées gris et blanc. La plupart du temps elles sont immobiles, sans doute occupées à sucer la sève des feuilles qui petit à petit palissent sous leur action, et à pondre des œufs, car que peuvent être d’autre que des œufs ces multiples points noirs qui envahissent le dessous des feuilles. Parfois elles se déplacent, relativement vite, et quand elles sentent le danger, se laissent tomber. Le danger c’est moi, la main gantée, qui cherche à les écraser une à une puisqu’aucun des insecticides, savon noir ou autre produit ne semble leur ôter leur vitalité. Qui ne connaît cette histoire : Deux puces sortent du cinéma, l'une dit à l'autre : Tu rentres à pied ? Oh, non je prends un chien ! Les bestioles font de même, elles se laissent tomber sur un être mobile, moi par exemple, pour partir à l’aventure et tenter de coloniser un autre organisme végétal.

Je les montre à tous mes visiteurs, c’est l’attraction du moment, et je leur demande ce qu’ils voient. L’une a repéré deux antennes, l’autre leur trouve une ressemblance avec les crapauds, peut-être ont-elles des ailes se demande le troisième. Et le nombre de pattes ? s’il y en a six c’est un acarien me dit le vendeur de produits biologiquement mortels. Mais comment voulez-vous que je vois le nombre de pattes de ces bêtes minuscules. On va faire une photo annonce le quatrième. Sur la photo agrandie, les contours de la bête se floutent, semblent une matière molle blanc rose comme celle d’une méduse ou d’un ectoplasme. L’horreur.

À force de les regarder et de les observer, je trouve qu’elles ont une forme d’avion, écrasées au sol de la feuille, leur corps allongé présente de chaque côté et de manière symétrique deux courts bras étalés et, à l’arrière, on perçoit une forme rectangulaire perpendiculaire au reste du corps, comme une queue d’avion, un gouvernail.
Leur faiblesse est peut-être la pesanteur : accrochées immobiles sous les feuilles, qui se tiennent parfois à l’horizontale, est-ce qu’elles ne devraient pas tomber comme un avion sur le dos, au moteur arrêté ? Je pense qu’elles n’aiment ni l’eau, ni la pluie : ce qu’elles craignent dans les pulvérisations ce n’est pas la nature du produit pulvérisé mais la violence du jet qui les déstabilise et qui les fait tomber.
Oh surprise, un soir quelques bestioles ont volé. Je les ai vues. Pour échapper à mon geste destructeur, elles ne sont pas tombées comme à l’habitude mais elles ont volé, volé dans ma direction. Une attaque ?

Une fois, le pommier dévasté, elles s’en sont prises au cerisier puis, de là, aux rosiers, y compris celui que Maria avait sauvé des cétoines dorées. Mon jardin est une désolation.

Maria Rantin et Joseph Pasdeloup
Cétoines dorées (Maria Rantin) et poux du pommier (Joseph Pasdeloup)
texte écrit à quatre mains, été 2019