SUR LOTUS SEVEN
Lotus Seven de CJeanney
Lotus Seven de CJeanney
Michel Lansade (Encres Vagabondes) 2 mars 2022
« Making of
- Construit avec The Prisoner, car né d’un dimanche après-midi de février 1968 : je regarde "Le Prisonnier" avec mon père, j’ai 6 ans.
- Écrit en utilisant un mot (pour une) seconde. Un paragraphe compte soixante mots, soit l’équivalent d’une minute.
- Chaque épisode du Prisoner est d’une durée de 50 minutes plus 2 minutes de générique (presque toujours le même). Chaque chapitre de Lotus Seven est composé de 50 paragraphes. Un générique de 2 paragraphes ouvre l’ensemble du texte.
- Les titres des chapitres sont ceux des épisodes de la série que Patrick McGoohan considérait comme essentiels. »
Voilà les règles sont énoncées et le mélange, à moins que ce soit des parallèles qui de temps en temps se touchent, entre texte et série audio-visuelle, est posé.
Au départ il y a ce moment : « Pelotonné inscrite dans le triangle que ses jambes construisent, menton posé sur le velours, ses genoux font le socle où poser ma tête, il dort peut-être. En face de nous, l’homme va se faire happer, la boule blanche, le visage asphyxié par transparence. Il dort peut-être, moi le menton sur le velours. » C’est le point de départ qui annonce déjà la fin.
En chemin des fragments de la série où Bruce Chapman, numéro 6, demande qui est le numéro 1, ou entre dans une boutique pour avoir le plan du village et de la vie du père vue à travers les yeux d’enfant de la narratrice, sans que l’on sache parfois s’il est question de Chapman ou du père, tous les deux devenus personnages. « Lui dédoublé. Inextricablement liés, deux « lui », l’un qui se démène, fluctuant, se frappant la tête sur les vitres et rebondissant contre les meubles, et l’autre de carton rayé de X tombe au fond, au milieu d’autres fiches de dissidents. Lui peut toujours tenter de s’enfuir maintenant, aucune certitude de salut. » Comme la citation précédente, dans les paragraphes nous avons les deux personnages et les phrases-plans, ainsi qu’au début on annonce la fin.
Nous suivons, pas dans une stricte alternance, tantôt Le prisonnier, tantôt des moments de l’enfance de la narratrice, de la vie de son père. Ce ne sont pas des portraits mais des morceaux, des fragments de leur vie et vers la fin peut-être des lambeaux.
Lotus Seven c’est aussi des locus. Le village cerné par la mer et la montagne pour le prisonnier, la maison, l’atelier où il fait ses meubles, le cerisier et l’usine pour le père. « L’usine, née il y a longtemps, en 1879 selon le livre, l’usine tellement puissante qu’on ne l’appelle pas autrement que Lusine en un seul mot, enfin c’est ce que je crois. Lusine, un champignon qui pousse d’abord collé aux mines, ses ateliers fabriquent des cages d’extraction, des taquets hydrauliques, treuils, ventilateurs, criblages, broyeurs. »
« Lui, à la fois la trame et la tension » Elle est grande la tension dans ce texte, qui va de « L’arrivée » au « Dénouement » en passant par « Liberté pour tous », « Danse de mort » ou « Échec et mat ». Elle est grande la tension dans ce texte perecquien, entre récit et poème, tombeau et élégie, entre Chapman et le père, entre souvenirs et écriture de ces derniers. Une « belle » tension qui rythme la lecture, la rend émouvante.