LARMES
Pleurer
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PLEURER
Moi, je ne pleure pas. Il faudrait avoir du chagrin pour ça, et je n’en ai pas. Je demeure les yeux secs au miroir.
Si seulement je pouvais pleurer un peu. Avoir un petit chagrin à moi. En attraper un et le ramener chez moi. Chaque jour il grossirait un peu plus dans ma poitrine et pourrirait dans ma tête, jusqu’à déborder de mon corps.
Alors je pleurerais dans mon lit.
Je pleurerais dans ma cuisine en pelant des pommes.
Je pleurerais dans mon salon en écoutant les violons longs.
Je pleurerais dans mon bain en faisant mousser le savon.
Un petit chagrin tout mignon. Je l’emmènerais marcher sous la pluie. On irait aux champignons si c’est la saison. Nous voyant passer, les gens diraient : comme ils sont bien assortis ! Mon petit chagrin me tiendrait par la main. On serait bien. En arrivant dans les bois, il me soufflerait : Assieds-toi et pleure. Je chercherais toutes les choses tristes dans mon coeur. Je parlerais aux vieilles souches, leur dirais : Souviens-toi. Je parlerais aux écorces, aux lents scarabées, à la mousse verte. Les sanglots tomberaient de moi dans un bruit de poumon brisé et des rivières salées baigneraient mes pieds.
Au bout d’un temps mon chagrin dirait : Relève-toi, tu as assez pleuré ; tu as lavé ton cœur en profondeur. Rentrons.
J’avancerais à petits pas, les paupières en crapauds-buffles, les yeux noirs comme des lamelles de champignons. Brillants comme un soir de fièvre. Purs diamants.
Qu’elle est jolie ! diraient les hommes dans mon sillage. Si belle et si triste. Sanglée dans sa grande silhouette mouillée.
Non, messieurs, laissez, j’ai mon chagrin à m’occuper. J’ai mes larmes à semer. Mes sanglots à déverser.
Et je finirais bien vieille, seule et calme à la chandelle, les mains croisées sur la poitrine tels des agneaux dociles, toute dette de larmes apurée.
Claudine Londre, Pleurer
Le Lampadaire, 2020