ATTENTE/ERRANCE
Maxence Van Der Meersch,Quand les sirènes se taisent extrait du chapitre 1,
COLLECTION DES CURIOSITÉS
Ici, Laure était mieux, dans la courée. Elle se sentait revivre. Elle regardait maintenant la « cour », sa « cour », où elle était née, où elle avait toujours vécu. Deux rangées de maisons basses se faisaient face, six de chaque côté. Peintes à la chaux, avec des soubassements vernis au goudron, elles eussent paru uniformes, identiquement sales, vétustes et branlantes, aux yeux d’un étranger. Mais Laure les connaissait depuis toujours, et l’habitude les faisait dissemblables, à ses yeux. La porte des Boli, les nègres, était la plus sale, tout éraflée par les coups de pied des gosses. Des brise-bise frais égayaient d’une note claire la fenêtre de la vieille Elise. Un fer à cheval porte-bonheur, cloué sur la muraille, indiquait la demeure d’Honoré Demasure, le communiste. Et, les Dauchy ayant repeint en vert, bien des années auparavant, boiseries et contrevents, leur maison s’appelait toujours, malgré quinze années de soleil et de pluies, « la maison verte ». Aux yeux de ces gens, elle l’était sans doute encore.
Des fils de fer, en réseau dense, formaient à travers toute la courée, à deux mètres du sol, comme une nappe serrée. La lessive du samedi y pendait, un étalage de hardes pauvres et multicolores que gonflait le vent. En se baissant, Laure alla jusqu’au milieu de la cour, aux « communs ». Là étaient la pompe et le cabinet uniques, qui servaient pour tous les locataires. Laure pompa un peu d’eau, s’en aspergea la face, se sentit revigorée. Mais elle n’osait pas encore rentrer à la maison, l’idée seule de cette odeur de hareng et de chiffon brûlé la rendait malade, de nouveau. Elle traversa la cour, alla frapper à la dernière porte, tout près du couloir de sortie, là où les brise-bise blancs attiraient le regard. Et la vieille Elise vint lui ouvrir et la fit entrer.
Maxence Van Der Meersch,
Quand les sirènes se taisent, 1933