SUR LE LAMPADAIRE
Michel Lansade
Le voyage à la mer
Chapitre 3
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS
LE VOYAGE À LA MER (Hommage au Lampadaire .3.)
Enfin elle arrive en vue de la mer, aux abords de la plage.
La mer et le ciel, tant de bleu !
Comment ne pas être chaviré par cet air marin ? Alors c’est que vous êtes bon pour le désert.
Elle est un infans, muette, sidérée.
Elle n’a pas de mots pour dire ce qui s’offre à elle.
Tout.
L’éphémère et la permanence, le soleil et l’ombre sombre, l’évidence et l’herméneutique, la guerre et la réconciliation…
Surtout la réconciliation.
A la vue de la mer, brusquement vous êtes nu, c’est l’eau qui vous habille et son air salé, c’est le tambour de cérémonie qui vous rend à vous-même.
Elle met ses deux index dans la bouche et siffle.
Il n’y a pas de mots, que le sifflet des bis, encore, des hourras, un sifflet long d’admiration.
Elle laisse tomber, le vélo et ses bagages, le cerf-volant qui n’est plus qu’un piètre dragon. Court sur la plage se tremper les pieds.
-- Une plage ça vaut le coup de se taire.
En face, il y a une île.
C’est un bout de rocher en pain de sucre, comme un phare diurne, entouré de récifs.
Les algues pendent le long de ses flancs comme un manteau.
Là, il y avait une grotte sous-marine. Un dragon emportait à plusieurs kilomètres en mer les enfants qui s’y baignaient.
Ils se noyaient et les mères pleuraient.
Une sirène érudite, intelligente et compatissante décida d’épouser le dragon.
Il se civilisa et de leur union naquit l’île au manteau d’algues.
Il allait même jusqu’à rechercher les enfants qui perdaient pieds.
Dans ses grandes dents acérées, délicatement, il ramenait les enfants sur le rivage.
Depuis l’union, c’est une île où l’on peut se rendre sans dommage pourvu qu’on reste enfant.
L’île baigne dans l’outre-mer.
La mer, flux et reflux, un bleu toujours renaissant.
Le sang bleu qui à la face du ciel et de sa voie lactée, nourrice elle aussi toujours recommencée, crie ses parbleu, ses palsambleu, morbleu et autre sacrebleu.
Une eau qui vous lave des anciens volcans et rend la chimère paisible.
Un bleu que les égyptiens et les bohémiens gardaient secret, comme la vie et la mort.
L’eau bleu d’un coup de clapotis vous entraine dans son rêve d’ailleurs au-delà de son horizon long, vers le mariage avec le ciel.
Un blues rauque du flux et du reflux, de l’abandon et de la révolte toujours renouvelés. Je m’échoue mais je me joue. Le rire succède aux pleurs et se confondent, sans cesse.
Le pauvre marin de guerre revient.
Il se tient sur la vague comme sur un rocher ourlé d’écume.
L’écume se dresse comme un arbre fugitif couvert de neige.
La mouette est haute dans le ciel, loin de la furie.
Le sol est englouti, s’enfuit un moment, puis réapparait.
La vague sans arrêt joue à l’illusionniste.
Ses fils de pêche sont tendus, il les tient à deux mains.
Et la vague le recouvre à nouveau, inlassablement.
Il tient bon, il faut ramener du poisson à la maison.
-- Fluctuat nec mergitur.
Elle s’est installée sur la plage, là où il n’y a que le bruit de la marée, du flux et du reflux, voix rauque, blues qui éloigne tout et ramène en son centre tous nos pleurs.
Elle a posé sa tente, son dedans-dehors dans le vent de la marée.
Son cerf-volant est accroché à la tente.
Il fait des soubresauts, va à gauche et à droite.
Sa tente s‘affaisse sur la plage, c’est une bâche fatiguée et pleine de plis.
A l’aube, à huit heures, à vingt heures, il faut la retendre dans le sable meuble.
Chaque jour il faut la retendre pour qu’elle ne ressemble pas à un château de sable dévasté. C’est comme une geste de l’enfance, la course des escargots, le nettoyage du hérisson couvert de bave…
Une aventure avec les éléments, avec le vent qui dessine des vagues sur le sable.
Il y a des soirs où les mouettes mécontentes de sa proximité viennent frapper sa tente plissée.
-- chaque jour il faut refaire son toit. Nul abri stable, nulle permanence. Je suis là. Je suis là ne peut se dire qu’au présent. J’irai ailleurs, au-delà de mon toit qui remet en question mon moi.
Elle regarde Jupiter d’où vient la foudre.
Elle est joviale.
Elle regarde Jupiter et ses quatre lunes.
Il y a des taches rouges qui font le pourtour. Ce sont les tempêtes cycloniques qui peuvent durer un siècle.
-- Un siècle ! Un siècle d’orages désirés ça laisse songeur… Cependant le plaisir c’est une étincelle. Trop c’est trop.
Elle regarde la pipe du Bouvier qui fume tranquillement ses étoiles avant d’aller se coucher au-delà de son ciel.
Elle prend un bain de minuit.
Elle est nue dans la mer.
C’est tout bête mais un chiffon en moins et vous êtes poisson.
Plus rien ne vous sépare de la mer.
Elle la porte.
Un instant, un instant seulement, elle sent le liquide amniotique
Il suffirait d’un cri pour évacuer le souvenir des mots.
Il fait nuit.
Elle regarde la pipe du Bouvier qui fume tranquillement ses étoiles avant d’aller se coucher au-delà de son ciel.
Elle joue avec son cerf-volant.
Il commence au raz du sable, pataud, pas encore échauffé.
Il oscille à un mètre, hésitant.
Puis brusquement dépasse la dune.
Il vibre dans le ciel, claque au vent.
Pour un peu il cracherait du feu pour aller plus haut,
Pour quitter l’azur,
Pour piquer sur les ombres de la plage.
Elle le tient à deux mains comme le pécheur.
Il faut bien du volant au caïman.
Puis elle fait des huit avec le cerf-volant.
Une boucle qui est une prison.
Qui vous fait repasser éternellement par le même chemin
Par les mêmes faims inassouvies.
Un refrain qui ne connaîtrait que lui-même,
Une scie qui vous découpe le tympan.
Elle est allée sur son vélo devenu nu, acheter un cubi de dix litres de Chinon.
-- Je veux une mer de vin
Elle dîne, divine, d’une sardine, parfois dedans, parfois dehors.
Elle dîne d’une racine, d’une capucine ou d’un biscuit.
Elle dîne et se tourne vers le liquide.
Elle se souvient d’anciens vers du primaire.
Ceux qui ouvrent votre erre
Qui vous empêchent d’être par terre, terre à terre.
Des verres qui vous font grandir dans le cercle de famille.
Elle dîne et se tourne vers le liquide.
-- Chinon au grand renom, à la feuille rosée à maturité. Chinon sauvage qui dépose un baiser libertin à la maigre Adeline.
Chinon où il y a plus de cheminées que de maisons, renverse-moi à la flamme de ton poivre-vert.
Maintenant que j’ai l’éclat aux yeux, donne-moi Orphée et son chant hypnotique.
Fais-moi vivre le singe, l’ibis, le taureau et l’antilope. Fais-moi arbre qui pousse vers les
étoiles, là où les oiseaux viennent nicher.
Frappe-moi, Orphée, de ta lyre jusqu’au délire.
Frappe-moi ! Encore !
Fais de moi l’espoir, la jeunesse et la vie.
Fais de moi ces trois Parques qui font leurs Pâques à New-York.
Elle trace sur le sable lisse, foncé de la marée basse ses initiales.
A Z
Son doigt entre dans le sable. Quelques bulles d’air et les couteaux s’enfoncent plus
profond.
Elle grave le nappage de chocolat.
A Z
Elle forme des rigoles avec de petites dunes sur les bords.
L’eau de mer remonte dans les rigoles.
Elle ne sait plus si elle trace dans la mer ou dans le sable.
Deux lettres instables qui seront essuyées par la marée.
-- Noir sur blanc, je voudrai faire un poème de ma vie. J’irai l’accrocher aux branches des cerisiers. J’irai l’accrocher aux voiles des bateaux afin que ma vie aux vents traverse les océans. J’irai l’accrocher aux boutonnières afin que la vie soit un roseau rigolo.
Michel Lansade,
Le voyage à la mer, chapitre 3, publication 2014.