LARMES
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Des gens pleuraient hier soir, le long de l’avenue. Un homme et une femme. Ils pleuraient ensemble sans se regarder, marchant l’un à côté de l’autre. Je les ai vus. Je les ai croisés en rentrant. D’abord ses larmes à elle qui coulaient de ses yeux, qui formaient des flaques de maquillage noir sous les cils. Au premier regard, j’ai cru qu’ils s’agissaient d’hématomes et j’ai eu peur pour elle. Mais comme les marques brillaient, comme ses yeux brillaient, j’ai compris que c’était des larmes. Des larmes silencieuses sur son visage baissé. En me tournant vers l’homme, pour voir sa réaction, parce qu’on ne marche pas si facilement à côté de quelqu’un qui pleure, j’ai vu son visage à lui. Il était humide aussi. Ses larmes coulaient plus abondamment, venant se cacher dans sa barbe. Elle scintillait par endroits sur les côtés de son nez. Ils pleuraient en même temps. Ils pleuraient tous les deux. Depuis que j’avais quitté le métro et regagné la surface, je n’avais croisé personne sur le chemin. Pas un passant ni une voiture. Cela arrivait parfois, dans ce quartier-là de Paris. Je n’avais croisé personne jusqu’à ce couple en pleurs. En les dépassant, je n’ai pas osé me retourner même si je le voulais. Je voulais les voir encore et tenter de savoir. Pour quelles raisons pleuraient-ils en même temps, au milieu de la nuit ? Je continuai à marcher seule, encore plusieurs minutes avant d’atteindre ma rue. Je marchais seule et je me demandais s’il fallait toujours une raison pour pleurer. Si l’on ne pouvait pas simplement pleurer en silence, à l’air frais de l’avenue déserte. C’est vrai que j’en avais envie désormais. Pleurer d’avoir vu pleurer. Cela ne vint pas. Mais juste avant l’entrée de mon immeuble, je m’aperçus que toute la ville, cette nuit, avait une allure vide et triste. Les pleureurs avaient-ils transmis leur peine à la ville ? Ou bien, était-ce l’inverse ? (cette obsession de croire à la connexion de toutes choses.) Je m’apprêtais à composer le digicode et me retournai encore une fois vers la rue. Une dernière fois avant d’aller dormir. Les faisceaux des lampadaires s’étiraient sur un mètre, formant des lignes de lumière autour des ampoules. Comme des larmes. J’ai trouvé que c’était beau. Beau et discret. Les lampadaires pleuraient.
Pauline Moussours
Larmes, texte écrit pour Le Lampadaire, 2018