LA LANGUE DU POULPE
Dans sa description, Buffon englobe poulpe, calmar et sèche, ne notant que lorsque cela s’avère nécessaire leurs distinctions.
Au centre de ces dix bras, dans leur enfoncement, on voit une ouverture parfaitement arrondie en forme de cercle, bordée en saillie par une extension de la peau ; ce cercle saillant et charnu, lisse et uni dans son état de repos, se fronce quelquefois en forme de bourse ou de festons ; c’est la bouche. On pourrait comparer la saillie des chairs que recouvre cette peau aux lèvres des autres animaux si cette ouverture et son rebord n’offraient pas un cercle parfait sans fente latérale ou points de scission et de repos. Du milieu de ces lèvres on voit percer un bec qu’elles recouvrent presque entièrement ; il est très enfoncé dans la bouche, montrant à peine le quart de sa grandeur : sa couleur est brune et se rapproche de celle de marron foncé ; il est formé en bec de perroquet composé de deux pièces, l’une supérieure, l’autre inférieure ; elles agissent en tenaille l’une contre l’autre ; parfaitement mobiles, elles s’enchâssent exactement et se serrent de telle manière que l’inférieure est emboîtée hermétiquement dans la cavité du bec supérieure et crochu ; leurs bases sont travaillées en chape pour s’implanter avec plus de solidité dans les muscles qui remplissent la fonction de gencives ; et indépendamment de cette forme particulière, la base du bec inférieur est encore évidée de façon à permettre à la langue de s’y mouvoir facilement. Après la mort de l’animal, pour peu qu’on le manie ou qu’on le tourmente, ce bec se détache en abandonnant, sans aucune déchirure, les chairs qui l’enclavaient dans ses bases ; sa substance est cornée et fibreuse ; c’est avec le bec supérieur que la sèche pince ; elle le fait avec ténacité, et presque tous les auteurs anciens ont affirmé que sa morsure était venimeuse. Le contact de ses bras l’est à coup sûr, mais je doute que sa morsure le soit, quoique inutilement j’ai essayé de me faire mordre par des sèches qui périssent aussitôt qu’elles sont livrées aux influences de l’air ambiant, et qui d’ailleurs fuient la main de l’homme ; mais j’ai été mordu comme on le verra par un poulpe, et la blessure que me fit sa morsure fut guérie avant que le sentiment de la douleur fut entièrement apaisé sur les parties de mon corps qu’il avait enlacé de ses bras.
Buffon, Histoire naturelle, générale et particulière des mollusques, animaux sans vertèbres et à sang blanc, « Histoire des sèches », 1802, p. 198-199