SUR LE LAMPADAIRE
Michel Lansade
Le voyage à la mer
Chapitre 1
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS
LE VOYAGE À LA MER (Hommage au Lampadaire .1.)

Elle ne venait de nulle part en particulier.
Elle n’avait rien de particulier non plus.
Seulement les jours s’écoulent.
Elle n’est pas béate.

Elle ne se reconnaît pas dans le miroir.
Pas la peine de demander : suis-je la plus belle en ce miroir ?
Il reste muet et c’est une autre personne qu’il reflète.
Tout le jour son ombre varie
Et elle ne se reconnaît pas non plus dans cette silhouette élastique.

--Moi, mon moi d’Adeline m’est toujours étranger.



Elle n’est pas folle.
Elle ne se dédouble pas.
Elle connaît son identité.
Elle reconnaît ses caprices.
Elle sait distinguer le lundi du vendredi, le mercredi du jeudi.
Elle sait le prix de la baguette et du kilo de pommes de terre.
Elle aime les pensées, les jaunes, les mauves, les carmins et les blanches.
Elle peut nommer sa famille et en cherchant un peu donner les dates de naissance.

Elle a l’impression d’être sur une chaine d’emboutissage.


Elle regarde le ciel.
Vénus planète de Vulcain
Qui forge dans le volcan
Maat Mons.
Vénus qui alla voir Mars
Peut être sur les plateaux d’Aphrodite Terra.
Vénus devenue Klein.

-- Etoile du berger, guide, guide-moi, rassemble le troupeau que je suis, pendant que le ciel est encore gratuit.



Le problème du jour est d’être jour.
D’être en quelque sorte ajouré entre deux jours.
D’être souvent gris.
Un gris qui se délave de jour en jour
Tandis que la nuit il y a des ombres,
Des contours, des apparences
Et des fantômes qui sortent de l’ampoule, de la bougie, du lampadaire ou de la lune.
Bien sûr elle a une petite nostalgie pour l’âtre
Qui projetait sa lumière à un mètre cinquante
Et laissait la pièce à sa chimère dans le noir.
Il y a ce qui se fait dans le secret du noir et ce qui se fait dans l’évidence de la lumière.
Elle sait que la nuit même un cheveu a son ombre.
Qu’un soupçon fait une grande histoire.
Deux yeux brillent sous ma lampe :
Un lapin, un loup, un chevreuil, un lama, un ours ou un éléphant ?
Ami le souvenir qui revient, ou bien ennemi
Ce cauchemar qui s’insinue dans ma béatitude ?
Est-ce qu’un bon cauchemar qui vous réveille
Ne vaut pas mieux que deux beaux rêves dont on n’a pas le souvenir ?



Les jours s’en remettent aux planètes, mais en plein jour on ne les voit pas.



Elle ne les compte pas. Elle les regarde passer. Il est passé par ici, il ne repassera pas par là.
Ce n’est pas drôle un jour, ça a toujours la même forme :
Se lever, manger, manger et se coucher.
C’est une coquille vide qu’il faut farcir avec toujours les mêmes ingrédients.
Ce n’est pas drôle un jour, chaque jour il faut le mettre à jour.

-- Chaque jour il faut penser à deux mains. La tête bien serrée entre celles-ci.



Une nuit, elle a vu une couronne
Six pointes au dessus de la lune.
Une couronne comme dans un dessein animé.
Une couronne, une cour ? Pourquoi pas moi ?



-- Je veux tout, tout le soleil, et l’or du soleil de minuit. Tout le soleil, et lune et l’autre, et enfiler un cachemire sur les neiges du Bhoutan.
Je veux tout et plusieurs vies, l’une complétant l’autre, l’une complimentant l’autre. Je veux être rat et chat, étoile et voile qui se déploie au large.
Petit rat à l’Opéra pour me faufiler en ballerines dans des trous de souris. Chat pour voir la nuit et le hibou qui me dispute la souris. Et dormir tout le jour et ronronner.
Étoile pour être le bout d’une baguette magique et mettre des millions d’années à mourir. Être morte mais briller encore. Être une star.
Voile pour transporter le marin ailleurs, n’importe où hors de son monde. Aller de port en port, poussée vent debout de longs jours. Et dormir tranquillement dans un port de plaisance.
Je veux ce repas de saveurs ni uniques ni quotidiennes qui me laissera un souvenir de grand palais. A la tienne Etienne tu n’as pas été lapidé pour rien.
Je veux tout, même les riens du tout et toutes mes vies seront très bien.





Elle examine la grande Ourse.


-- Qu’est-ce que je vais mettre à mijoter dans cette casserole ? Ce qui est sûr, c’est qu’à cette queue je ne me brûlerai pas les doigts.




Elle s’est dépouillée de tout pour œuvrer à son plat.
Du travail, du ménage, des enfants, des livres,
Des films, du journal, de la revue, des lettres …
De tout ce qui était écrit au jour le jour.


Ils ont enfermé le ciel dans une boite.
Le temps du soleil et des étoiles
Est confié à une puce
Qui saute, saute, saute dans les horloges digitales.
Le monde est amnésique.
Il faut prendre rendez-vous avec sa mémoire.
Ils ont enfermé les jours de la lune et du soleil.
Le monde consulte pour l’intervalle.
Le monde consulte à intervalle régulier.


-- Je suis le milliardième de la seconde qui passe. La lumière, malgré sa vitesse, n’a plus le temps d’arriver jusqu’à moi.





Elle regarde son smartphone.,
Sous le jour qui ne dure qu’un temps.
Cette boite qui couvre le monde.
Ce moi autre.
Elle y voit la croissance du désert.
Elle regarde ce moi autrement pucé.
Court creuser la terre. Fait un petit trou,

--Qu’est-ce qui fait le trou, le vide ou la terre ?


Enterre son portable,
Rebouche
Et dépose une pierre dessus.

--Je me déporte





Elle est nue, enfin, comme un bébé,
Comme un cadavre qui prononce ses vœux.
Elle est ce grain de sable qui se déplace avec la marée et le vent,
Ce cristal taillé aux pans lisses.

Elle regarde la Grande-Ourse, si grande,
Si légère dans son pointillé, comme une dentelle
Lumineuse et qui bascule dans le ciel.

-- Il n’y a qu’une mer qui peut avoir la recette.




Elle n’a pas bu.
Elle n’a pas visité les vignes d’Icarus
Et ne pense pas être empoisonnée par le vin.
Juste elle a envie d’assassiner Chronos, pas ses enfants,
De tuer le temps minute par minute.

-- Pour tuer le temps, il suffit de suivre son plaisir.




Elle n’est pas malade, c’est un porteur sain
Comme vous et moi, qui sait que les cellules cancéreuses
Circulent en elle,
Tant qu’elles circulent…
Elle ne peut pas se résoudre à ce que les saisons passent
Toujours dans le même ordre.


Elle regarde Arcturus
Qui brille dans le Bouvier.


-- Finalement je ne scintille pas comme une étoile. Je suis une simple planète qui se demande ce qu’elle va faire de ce qu’on a fait d’elle.




Elle est elle.
Comme on ne peut pas aller nu dans le monde,
Elle a pris sa robe, sa tente, un pull, son butagaz,
Son duvet, son ciré, son vélo, de quoi se changer, de quoi manger…
Et son cerf-volant.
Il en faut des choses pour sortir de soi.

Elle ne sait pas si elle doit s’habiller en noir ou en blanc.
En blanc, c’est être un arc en ciel ambulant, mais c’est salissant, c’est être la lune qui se promène au matin, c’est être la feuille qui vole dans le courant d’air.
En noir, c’est porter le deuil de l’ancienne vie, c’est l’absence de couleur, c’est être l’acteur qui entre en scène et qui les prend toutes, c’est être la force d’un caractère.



Elle regarde le Bouvier,
Le laboureur et ses sept bœufs
Qui font la rotation des cieux.

-- Laboure, Bouvier, c’est le ciel qui manque le moins. Je pars, au diable l’économie !

Michel Lansade,
Le voyage à la mer, chapitre 1, publication 2014.


Les voyages forment la jeunesse.
Proverbe


La mer joint les régions qu’elle sépare.
A Pope, Windsor Forest, 400, 1713