LE RÉVERBÈRE DE NERVAL
Fred Lucas
COLLECTION DES
NOUVEAUTÉS









































































































Catherine Berindei
Photo Venise
hiver 2013




POUR EN FINIR AVEC LE RÉVERBÈRE DE NERVAL

Si on vous dit :
- Lampadaire, tu trouves ça joli comme nom ?
Vous dites oui, et après vous vous reprenez :
- Oui, mais c’est un peu sombre, un rien sinistre.
On vous demande pourquoi. Et vous dites que ça vous fait penser au réverbère auquel s’est pendu Nerval.
Ah oui, ce cher Nerval. Un moment de silence ému à sa mémoire, à la mémoire de toutes les bribes de poèmes et de textes qui vous reviennent à la vôtre de mémoire. Comment ne pas être ému ? Qui n’aimerait pas Nerval ? Et vous avez choisi en toute connaissance de cause le verbe « aimer » ; il ne suffit pas d’apprécier Nerval, le terme ne veut rien dire, Nerval on l’aime et c’est tout.
Mais après cette minute de silence obligatoire, votre interlocuteur manifeste des signes d’exaspération. Et voilà ce qu’il vous dit, ou à peu près.
- Certes, tu as de la culture, et tu es digne d’adhérer à l’association des amis du lampadaire. Mais voilà, tu es comme tout le monde, si on te dit lampadaire tu penses réverbère, si tu penses réverbère, tu penses mort de Nerval. Et bien tu te trompes. D’abord, un lampadaire n’est pas un réverbère, la preuve c’est qu’on ne pourrait pas dire « Nerval s’est pendu à un lampadaire » (imagine la scène, la lampe de salon qui s’écroule sous le poids du poète essayant vainement de s’y pendre, encore plus ridicule que le réverbère). Pire : Nerval ne s’est pendu ni à un lampadaire ni à un réverbère, mais au barreautage de la fenêtre d’une maison, une serrurerie ou un hôtel borgne, on ne sait pas trop.
Et vous vous récriez :
- Mais si ! je le sais, j’en suis sûr, je l’ai lu à maintes reprises. Il s’est pendu à un réverbère, comble d’ironie dans la rue de la Vieille-Lanterne, avec un lacet, la nuit du 25 au 26 janvier 1855. Son chapeau sur la tête, tout le monde le dit, il avait son chapeau sur la tête. Il s’est pendu à un réverbère !
Et votre interlocuteur, avec une patience et une suffisance qui vous exaspèrent, cette fois-ci c’est vous qui êtes exaspéré, vous explique qu’on ne doit jamais croire ce que l’on entend, que les bobards ça court les rues. Et il se lance dans la longue liste des faiseurs de bobards, ceux qui rapportent sans se donner la peine de vérifier ce qu’ils ont entendu ils ne savent plus trop où : les journalistes, les poètes, les éditeurs, les écrivailleurs de tout poil…
Il vous dit :
- Et encore, cette liste n’est qu’une récolte très incomplète.
Et il vous invite à la compléter par vous-même.
- Mais pourquoi cette même phrase inlassablement répétée, « Nerval s’est pendu à un réverbère », serait-elle fausse ? lui demandez-vous d’un air apparemment conciliant.
Vous réclamez des preuves, il vous les donne. Il les a consignés noir sur blanc : les témoignages des amis de Nerval arrivés sur les lieux du suicide, le procès-verbal de la police. Vous les lisez et vous êtes bien obligé de les croire. Mais vous ne voulez pas le montrer, alors vous faites un geste de dédain, un haussement d’épaule : on ne se défait pas si facilement d’une idée dont on ne connaît pas l’origine.
Et il insiste :
- Sois-en sûr, Nerval ne s’est pas pendu à un réverbère.
Désespéré, vous imaginez la scène en vous aidant de la gravure de Gustave Doré et de la lithographie de Célestin Nanteuil que votre interlocuteur vient de vous montrer.
C’est vrai, il n’y a aucun réverbère dans cette ruelle sordidement sombre, un coupe-gorge. Vous voyez bien la grille aux barreaux verticaux avec juste une barre horizontale qui permet d’y attacher la corde, le lacet. La fenêtre n’est pas haute, c’était nécessaire, sur quoi aurait-il pu grimper pour installer le nœud coulant, il ne pouvait tout de même pas se promener avec un tabouret ou une échelle. Il a dû s’élancer des quelques marches de l’escalier qui était juste à la droite de la fenêtre. Mais la barre de la fenêtre est basse. Malgré ses genoux repliés, ses pieds touchent presque terre. Cela aurait été si facile de se rattraper, de poser les pieds par terre et de vivre. Il a fallu être si volontaire pour s’astreindre jusqu’au dernier moment à maintenir les pieds repliés. Volonté acharnée de mourir. Surtout pas la terre, surtout pas la terre. Je ne veux pas toucher terre.

Vous qui n’aimez pas ne pas avoir le dernier mot vous exigez de savoir d’où vient la légende ; qui a été le premier à donner cette version de la mort de votre poète ? Pourquoi associer sa mort à un réverbère ?
- Bah, répond indifférent votre interlocuteur, c’est certainement plus romantique de mourir à la pale lueur d’un réverbère que pendu aux grilles d’une boutique, d’une sordide maison de passe. Quelqu’un qui a voulu préserver la réputation de Nerval, sans doute.
Devant la cruelle mesquinerie de cette réponse, vous vous décidez à vous lancer dans une enquête. Vous la savez longue et difficile. Et vous le dites à votre interlocuteur, ce briseur de rêves.
Et il vous répond :
- Comme tu veux, mais mon lampadaire, celui sur lequel je t’ai interrogé, n’est pas ce soi-disant macabre instrument de la mort de Nerval. Il s’en défend le lampadaire. Ce lampadaire n’est pas romantique. Il est juste un lampadaire. Il réclame, avec mauvaise foi peut-être, mais il la réclame, il réclame la plate évidence de l’objet.

Fred Lucas































Lampadaire sombre



ÉLÉMENTS DE L’ENQUÊTE DE FRED LUCAS : LA LONGUE LISTE DE CEUX QUI SOUTIENNENT QUE NERVAL S’EST PENDU AU RÉVERBÈRE : journalistes, poètes, éditeurs, écrivailleurs de tout poil.

« Né en 1808, Gérard Labrunie, qui se faisait appeler Nerval, s’est pendu dans la nuit du 25 et 26 janvier 1855 à un réverbère situé dans une rue de Paris que les travaux du baron Haussmann ont fait disparaître. Il n’avait plus de domicile fixe depuis plusieurs mois... »
Jean-Christophe Gruau, journaliste :
http://www.cubra.nl/PM/NervalDossierLanterne.htm

« Les réverbères africains » en 1927 : « [je] me souviens que Gérard de Nerval, prince de la Nuit, noctambule et somnambule, météore enchanteur, une nuit de désespoir, se pendit au bras tendu d’un bec de gaz, comme au poing surhumain d’un Dieu. » (Limbour 1972, 130) Un poète :
http://suite101.fr/article/les-cinq-grands-ecrivains-franais-qui-se-sont-suicides-a10908#axzz2JdZFGtHt

« Vers la fin de sa vie, les crises de folie se multiplient. Il se suicide en janvier 1855 : on le retrouve pendu à un réverbère rue de la Vieille-lanterne ».
Une maison d’édition qui édite les œuvres de Nerval :
http://www.editionsdelondres.com/Nerval-Gerard-de

« Entrer dans l'œuvre et la vie de Gérard de Nerval est pour Florence Delay une façon de renouer le dialogue avec son père au-delà de la mort. Durant son enfance elle a souvent entendu celui-ci réciter Les Chimères ou Les filles du feu. Psychiatre et écrivain, Jean Delay se sentait des affinités avec le poète, qui composa avec la folie avant de se pendre à un réverbère en 1855. Il lui consacra même une étude, "Aurélia et la maladie de Nerval". Citant l'un et l'autre, rapportant ses propres recherches, Florence Delay tente de dévoiler les ombres de la vie du poète, de balayer les contrevérités qui courent à son propos. Elle esquisse un portrait fragmenté du poète, personnage tendre à la gaieté contagieuse, attiré par les plaisirs du corps autant que par les illuminations de l'âme. »
Présentation du livre de Florence Delay Dit Nerval (publié chez Gallimard, dans la collection « l’un l’autre ») par L’Express.
http://www.lexpress.fr/culture/livre/dit-nerval_803595.html

« L’auteur, académicienne française, rend hommage à son père qui l’initia à son amour pour Nerval. Parallèlement, elle met aussi les pas du docteur Delay, psychiatre éminent et passionné de littérature, qui avait des relations difficiles avec son propre père, dans ceux de Nerval, fils d’un médecin des armées impériales qui ne comprit jamais les choix de vie de son fils. Et derrière cela, la souffrance des fils devant la déception des pères.
De fil en aiguille, au gré des souvenirs, des idées qui s’enchaînent sans toujours de lien logique, l’auteur brosse un portrait délicat de Gérard Labrunie, dit Nerval, que l’on retrouva pendu à un réverbère, son chapeau sur la tête, et qui laissait derrière lui une œuvre poétique et narrative toute empreinte de rêve, témoignage d’un monde intérieur d’une grande richesse. »
Présentation du livre de Françoise Delay : http://users.skynet.be/litterature/lecture/delay.htm

« Le lieu choisi pour réaliser son dessein présente, de l’avis de Richer, les caractéristiques d’un passage symbolique : un point d’intersection de deux grands axes de la cité, la tour-talisman toute proche (tour Saint-Jacques), le corbeau, l’escalier, le nom de la rue (rue du Massacre ou de la Vieille Lanterne), la date du 26 (deux fois 13), tout contribue à faire admettre que le cerveau détraqué de Nerval se laissa emporter par ces obscures coïncidences avec son horoscope. Le fait est qu’à l’aube de ce jour fatal on trouva son corps pendu à un réverbère ; le chapeau haut de forme gardé sur la tête et la redingote sale et déchirée ajoutaient au spectacle une note lugubre et tragiquement solennelle. »
Eduardo AUNOS, Gérard de Nerval et ses énigmes, Aryana et Gérard Vidal éditeur, 1956.
http://www.biblisem.net/etudes/aunogera.htm

« Ridiculement se pendre au réverbère», Mallarmé, dernier vers du «Guignon ».

« Un an plus tard, Gérard de Nerval, noctambule, est allé « ridiculement se pendre au réverbère ». Jésus romantique, Xavier Tilliette, p. 131, ed. Desclée, 2002

« Méticuleuse, exhaustive, révélatrice, la chronique par Ernst Pawel des huit dernières années de Heine à Paris, cloué sur ce qu'il appelait son «matelas-tombeau» (on pense, par comparaison, au «radeau-lit» de Colette), décrit un homme qui est tout sauf vaincu. Dans le regard plein de compassion de Pawel, Heine est plusieurs choses à la fois : animal politique, ami fidèle ou infidèle, polémiste, amant et, toujours, poète ; la maladie qui le tenaille et le pousse à écrire des vers rageurs confère aussi à sa poésie une profondeur et une portée qui ne se manifestaient pas avec autant d'évidence dans sa jeunesse. Nul doute que la proximité de la mort ne concentre la vision d'un poète. [...]
Il se peut que la mort rapide et dramatique d'un poète (Lord Byron combattant pour l'indépendance de la Grèce, Nerval se pendant à un réverbère parisien) soit plus facile à célébrer qu'une agonie prolongée (Rimbaud gagné par la gangrène tout au long de son voyage d'Abyssinie à Marseille, Oscar Wilde mourant «au-dessus de ses moyens» dans une chambre d'hôtel tapissée d'un papier affreux). Quoi qu'il en soit, avec ou sans compassion, la chronique de la mort de Heine (mourant comme Aristote et comme les rosés) constitue, sous la plume de Pawel, un digne mémorial au plus éternel des poètes allemands. »
ALBERTO MANGUEL (Le poète mourant 1. Les dernières années de Heinrich Heine à Paris. Actes Sud. extrait de la postface) http://www.actes-sud.fr/contributeurs/pawel-ernst

« Les premiers livres que je lis avec émotion, ce sont des livres mélancoliques, comme si, très tôt, j'avais compris que les plus belles années sont les premières. Je lis Rousseau, Les Rêveries d'un promeneur solitaire, Chateaubriand, les poètes en révolte contre la société, Rimbaud, Verlaine, Baudelaire et surtout Nerval, qui se pend à un réverbère, sans oublier de garder son chapeau sur la tête Quel symbole. L'ordre libéral bourgeois fait porter le chapeau aux marginaux.»
Un professeur de lettres et écrivain : http://www.pascal-louvrier.com/jupe.pdf

‹‹Le square de la rue Payenne, on y vient méditer, pour se reposer d'un trekking dans le quartier, les bancs y sont souvent libres et certains s'y allongent pour regarder le peu de ciel qui passe entre les frondaisons. Généralement, deux ou trois minutes après, ils se glissent timidement une main dans le pantalon. Va savoir. On y vient parfois lire, de longs moments, pour cause de tranquillité, de silence et aussi de plénitude. Sans doute parce qu'il est circulaire, deux cercles concentriques de gravier, l'un haut, avec les bancs, et l'autre plus bas, à peine trois ou quatre marches y mènent, entourant la statue et ses rosiers qui poussent en hauteur, cherchant la lumière. Les mômes à tricycle n'y restent jamais longtemps, préférant les larges trajectoires rectilignes et poussiéreuses de la place des Vosges. J'ai toujours trouvé que ce jardin était un endroit à la Gérard de Nerval, juste avant le réverbère. Un lieu où l'on pourrait se pendre avec joie. ››
http://geopolar.pagesperso-orange.fr/europe/france/paris/noir-urbain/noir-urbain.html un photographe ?

« Ce ne sera pas une des moindres surprises de la nouvelle édition des œuvres de Gérard de Nerval, à laquelle une équipe de chercheurs de l’Université Libre du Haut-Verdon, sous la direction de Jeannette baronne Jambrun, met l’ultime touche, que la révélation de l’amitié qui unit, dans ses dernières années le doux Gérard à l’auteur de La Chartreuse de Parme. C’est la découverte par une brocanteuse, au fond d’une cave condamnée d’un ancien bar à putes de la rue des Lombards, d’un lot de manuscrits du poète des Chimères qui est à l’origine de cette sensationnelle découverte. Parmi eux, un pathétique poème, griffonné par Nerval sur un bout de chemise de nuit avec du sang, peu de temps sans doute avant son suicide, et adressé à “H.B.”. Le voici :

"Frappé de mégalomanie
Monomaniaque
Inutile que je le nie :
Je suis foutraque.

Serpent logé au creux du nid
De ma barbaque
Ma dinguerie danse et rugit
J’en ai ma claque

C’est un cas de schizophrénie
Paranoiaque
Si je me fie au diagnosti-
Ck du Docteur Knack

Du corps délectable d’Annie
Un lot de knack-
-ies je garde au fond de mon lit
Et des morbacks

Repu mais las de mon génie
Je vais au lac
Il ne sera pas pour les fli-
-cs mon dernier couac !



(3) : “Je vais au lac” : certains commentateurs ont supposé que Gérard avait d’abord projeté d’aller se noyer dans le lac du bois de Vincennes. Cette hypothèse est infondée. Outre la faible profondeur dudit lac, il suffit que se rappeler que “lac”, dans la langue poétique, est un substitut de “lacet” : claire allusion au bout de corde (ou au lacet de chaussure) auquel le poète eut recours pour se pendouiller au célèbre réverbère.
Un blogueur: http://lesorogeneseserogenesdeugene.blogspot.fr/2011/04/un-inedit-de-gerard-de-nerval.html

Et vous pouvez continuer la liste…………
LE RÉVERBÈRE DE NERVAL
suite de l'enquête de Fred Lucas
COLLECTION DES
NOUVEAUTÉS
4 vers de Nerval écrits par Gustave Doré en bas de sa lithographie représentant la mort de Nerval rue de la vieille lanterne.

L'éternité profonde
Souriait dans vos yeux...
Flambeaux éteints du monde
Rallumez-vous aux cieux!
LE RÉVERBÈRE DE NERVAL
Écrits sur la mort de Nerval
COLLECTION DES
CURIOSITÉS
ÉCRITS SUR LA MORT DE NERVAL
«Alors la rue se rétrécit. On lit en grosses lettres sur un mur en face : BAINS DE GESVRES et au dessous : BONDET (sic) entrepreneur de serrurerie. Au pied du mur sur lequel sont inscrites ces deux affiches, commence un escalier avec une rampe de fer. Escalier visqueux, étroit, sinistre, un prolongement de la rue conduit à la boutique d'un serrurier qui a pour enseigne une grosse clé peinte en jaune.(...)dans l'obscurité au fond, vous découvrez une fenêtre cintrée avec des barreaux de fer pareils à ceux qui grillent les fenêtres des prisons. Vous y êtes, c'est à ce croisillon de fer que le lacet était attaché. Un lacet blanc comme ceux dont on fait des cordons de tablier. (...) C'est là, les pieds distants de cette marche de deux pouces à peine que le vendredi 26 janvier 1855 au matin, à sept heures trois minutes, juste au moment où se lève cette aube glaciale des nuits d'hiver que l'on a trouvé le corps de Gérard encore chaud et ayant son chapeau sur la tête.(...)Les gens qui les premiers le virent, n'osèrent pas le détacher, quoique l'un d'eux fit observer qu'il n'était pas mort puisqu'il bougeait encore la main (...) On alla chercher le commissaire de police, M. Blanchet, et un médecin dont j'ignore le nom. Le corps était encore chaud. Le médecin pratiqua une saignée, le sang vint; mais Gérard ne rouvrit pas les yeux. Nous allâmes de la rue de la Vieille Lanterne à la morgue où le corps avait été déposé. De l'endroit où Gérard s'était pendu, jusqu'à la morgue, il n'y avait qu'un pas.»
A. Dumas,
Nouveaux Mémoires : Sur Gérard de Nerval, 1866.


En savoir plus : http://www.paperblog.fr/4028005/sur-la-mort-de-gerard-de-nerval-rue-de-la-vieille-lanterne/#QPSqKcoMxQJqXM2x.99


REGISTRE DE LA MORGUE : «Arrivée du corps à 9 heures et demie du matin de Labrunie Gérard dit Nerval, demeurant 13 rue des Bons-Enfants; vêtements et objets : un habit noir, deux chemises en calicot, deux gilets de flanelle, un pantalon en drap gris vert, des souliers vernis, des chaussettes en coton roux, des guêtres de drap gris, un col noir en soie, un chapeau noir, un mouchoir blanc. Genre de mort : suspension (...) suicide; cause inconnue (...) cadavre trouvé sur la voie publique rue de la Vieille-Lanterne (...) cet homme était connu avant son entrée à la Morgue (..) le corps a été réclamé par la Société des Gens de Lettres (...). Procès-verbal du commissariat de police de Saint-Merri : «Ce matin, à sept heures et demie (26 janvier 1855) le dénommé (...) a été trouvé pendu aux barreaux (à l'enseigne) de la boutique d'un serrurier (Boudet) rue de la Vieille Lanterne, déclaration de Laurent, sergent de ville du quatrième arrondissement; l'individu était déjà mort, transporté au poste de l'Hôtel de Ville, secouru par deux médecins, mais en vain. Il s'est pendu avec un ruban de fil, son corps était attaché aux barreaux avec le lien, aucune trace de violence sur le cadavre.»

En savoir plus : http://www.paperblog.fr/4028005/sur-la-mort-de-gerard-de-nerval-rue-de-la-vieille-lanterne/#QPSqKcoMxQJqXM2x.99


«« Les morts vont vite par le frais! » dit Bürger dans sa ballade de Lenore, si bien traduite par Gérard de Nerval ; mais ils ne vont pas tellement vite, les morts aimés, qu’on ne se souvienne longtemps de leur passage à l’horizon, où, sur la lune large et ronde, se dessinait fantastiquement leur fugitive silhouette noire.
Voilà bientôt douze ans que, par un triste matin de janvier, se répandit dans Paris la sinistre nouvelle. Aux premières lueurs d’une aube grise et froide, un corps avait été trouvé, rue de la Vieille-Lanterne, pendu aux barreaux d’un soupirail, devant la grille d’un égout, sur les marches d’un escalier où sautillait lugubrement un corbeau familier qui semblait croasser, comme le corbeau d’Edgar Poe : Never, oh! never more! Ce corps, c’était celui de Gérard de Nerval, notre ami d’enfance et de collège, notre collaborateur à La Presse et le compagnon fidèle de nos bons et surtout de nos mauvais jours, qu’il nous fallut, éperdu, les yeux troublés de larmes, aller reconnaître sur la dalle visqueuse dans l’arrière-chambre de la Morgue. Nous étions aussi pâles que le cadavre, et, au simple souvenir de cette entrevue funèbre, le frisson nous court encore sur la peau.
Le pic des démolisseurs a fait justice de cet endroit infâme qui appelait l’assassinat et le suicide. La rue de la Vieille-Lanterne n’existe plus que dans le dessin de Gustave Doré et la lithographie de Célestin Nanteuil, noir chef-d’œuvre qui ferait dire : « L’horrible est beau »; mais la perte douloureuse est restée dans toutes les mémoires, et nul n’a oublié ce bon Gérard, comme chacun le nommait, qui n’a causé d’autre chagrin à ses amis que celui de sa mort.»
Théophile Gautier,
« Portraits et souvenirs littéraires. Gérard de Nerval », in L’univers illustré, 1867



« La rue de la Vieille-Lanterne réveille dans toute sa douleur un souvenir poignant. — Oui, voilà bien la noire coupure entre les hautes maisons lépreuses, la grille de l’égout, sinistre comme un soupirail d’enfer, l’escalier aux marches calleuses, le barreau rouillé où pend un reste de lacet tout ce sombre poème de fétidité et d’horreur, ce théâtre préparé pour les drames du désespoir, ce coupe-gorge du vieux Paris conservé comme par fatalité au milieu des splendeurs de la civilisation, et qui, Dieu merci ! a disparu. C’est bien ainsi qu’un froid matin de janvier, piétinant la neige suie, nous la vîmes, l’abominable rue ! témoin d’une agonie solitaire. Au fond de l’étroite fissure, un pâle rayon faisait luire, sur la place du Châtelet, la Renommée d’or de la fontaine comme un vague symbole de gloire. — Seulement, détail effroyable et sinistre que M. A. de Beaulieu n’a pas connu ou qu’il a volontairement omis, sur la plate-forme de l’escalier voletait et sautillait en sa sombre livrée de croquemort un corbeau privé, dont le croassement lugubre semblait adresser au suicide un appel qui fut entendu, hélas ! Qui sait si le noir plumage de l’oiseau, son cri funèbre, le nom patibulaire de la rue, l’aspect épouvantable du lieu, ne parurent pas, à cet esprit depuis si longtemps en proie au rêve, former des concordances cabalistiques et déterminantes, et si, dans l’âpre sifflement de la bise d’hiver, il ne crut pas entendre une voix chuchoter : C’est là !... »

Théophile Gautier
in L’Artiste, 1859, à propos d’un tableau de M. de Beaulieu exposé en 1859