PORTRAITS DE FAMILLE 3
L'heure extrême
COLLECTION DES NOUVEAUTÉS
L'HEURE EXTRÊME

L’enfant regarde la télévision, assis sur le canapé. Il sait que dans quelques instants, il n’y sera plus. Même s’il n’en a qu’une idée confuse pour le moment, il sait qu’à neuf heures et demi exactement, sa mère ira le chercher pour l’amener dans sa chambre. Un baiser sur le visage, « dors bien mon fils », et ce sera l’obscurité.
Immobile sous sa couverture, il écoute le bruit de la télévision, qui franchit les frontières de la salle à manger. Lorsqu’elle se tait enfin, il tend l’oreille pour écouter les ténèbres. Dans la chambre d’à côté, le bébé accapare toute l’attention de ses parents ; dans le jardin, le lent mouvement des limaces est imperceptible ; et il n’y a pas la moindre voiture dans la rue. À force de se tenir à l’affût de ces choses palpables, qu’il ne voit pas, l’enfant finit par s’endormir. Lorsqu’il se réveillera, il fera grand jour, et c’est tout ce qu’il connaîtra des altérations de la lumière, un clair-obscur qui recouvre le monde.
Le crépuscule est le plus formidable spectacle qu’il lui ait été donné de contempler. Il l’expérimente tous les jours dans le pré à côté de chez lui. C’est quelque chose de lent et triste, comme une espèce de naufrage multicolore, et il lui vient alors à la mémoire l’image d’un animal qui en mange un autre. Les réflexions que lui inspire le crépuscule sont toujours interrompues par sa mère qui le somme de venir à table et par les odeurs du dîner.
Mais son vœu le plus cher, le désir qu’il nourrit au plus profond de son cœur, c’est d’être réveillé à minuit. Il a une passion secrète pour cette heure, la plus prestigieuse de la nuit, qui ne s’offre qu’occasionnellement aux regards des hommes, et jamais aux siens. Il l’imagine toute noire, comme le noyau bitumeux d’un corps nocturne, dont la couleur va en s’éclaircissant à mesure qu’on avance vers ses extrémités. Il l’imagine comme un étroit sentier entre deux abîmes. Ou bien comme l’instant où toutes les créatures suspendent leur respiration pour la reprendre tout de suite après comme si rien ne s’était passé. Il en rêve tellement. Et il n’est pas impossible que minuit ait gratté à la fenêtre, à son insu, alors que justement il rêvait de lui.
Le voilà à nouveau dans son lit. Draps odorants, couverture douillette. Il entend à travers la fine cloison le bébé qui pleure vaguement, mais la mère et le père veillent. Il y a aussi une cousine de sa mère qui habite provisoirement avec la famille le temps de trouver du travail. Le son de la télévision lui parvient par bribes dans son lit sous la forme de dialogues confus entremêlés de musique. Soudain, il sent que sa vessie est pleine, il pose un pied sur le sol. Il ouvre lentement la porte sans allumer la lumière, et son corps se désintègre dans le couloir pour se reconstituer seulement dans la salle de bain, dix mètres plus loin.
Une fois son envie soulagée, il risque un détour par le séjour avant de retourner dans sa chambre, pour regarder discrètement ce qui s’y passe : personne, la télé soutient la seule conversation de la maison. Le père, la mère et la cousine se préparent à aller se coucher. Il entend la porte de la salle de bain se fermer. Curiosité, envie de voler le réveil posé sur le buffet de la cuisine. Mais il recule devant le risque et retourne dans le couloir. Il ouvre la porte et la referme dans la même seconde pour ne pas perturber la tranquillité de sa chambre, qui dort sans lui, laissant les autres pièces allumées, palpitantes. Il se glisse sous ses draps avec ses désirs, où il se résigne à attendre le sommeil, qui ne tarde pas, parce que malgré son excitation, il n’a pas l’habitude des infinies attentes de la nuit, de ses heures molles et sans points d’accroche, qui la font ressembler à un animal invertébré. Peut-être qu’à force d’errer dans ce temps amorphe, son esprit finit par souhaiter le retour du jour, de ses formes précises, de ses architectures définies, et alors il a la nostalgie de lui-même.
Pendant la nuit, les désirs qu’il ressasse sous ses draps s’organisent, les fils de son esprit jusqu’alors en désordre commencent à tisser le canevas de futurs plans. Ainsi, lorsqu’il va prendre son petit-déjeuner préparé et servi par sa mère, il n’est plus tout à fait l’enfant innocent qu’il était devant son bol en plastique.
Pendant la journée, il se repose discrètement pour garder ses forces, malgré les soubresauts sporadiques de son cœur. Il s’assoupit deux secondes pendant que sa mère lui savonne le dos, avec la complicité des bruits de vaisselle, qui couvrent ses ronflements. Il profite des pages de publicité pour prendre de l’avance sur les rêves qu’il n’aura pas le temps de faire plus tard.
A neuf heures et demi, sa mère presse l’interrupteur et les ombres de la chambre filent se cacher sous les meubles. Elle aplanit le drap et la couverture sur sa poitrine, puis s’en va. La cousine se racle la gorge dans le séjour. Pourquoi donc le volume de la télé augmente-il pendant la publicité ? Sa vessie est secouée par ses quintes de toux sèches et l’envie d’assouvir une envie pressante le pousse à nouveau dans le couloir.
Toutes les lumières sont allumées dans la maison, il a le sentiment que la vie se déroule sans lui. À minuit, une grande commémoration aura certainement lieu, les gens s’embrasseront, parleront à tue-tête et les horloges électroniques afficheront un insolite et clignotant 0:00. Il sort des toilettes, soulagé, et il va jusqu’à la cuisine, où la théière bout toute seule. Il subtilise le vieux réveil, dont les aiguilles avancent en faisant un bruit de chaussures à talon haut qui écrasent les secondes. Il retourne dans sa chambre sans déranger l’obscurité et il approche le réveil de la fenêtre pour que la lumière qui vient du dehors – des lampadaires et de la demi-lune – l’aide à suivre la marche des aiguilles. Il est dix heures vingt-huit.
Il a un œil sur le mouvement de la grande aiguille, un autre sur le surprenant jardin qu’il n’avait encore jamais vu ainsi revêtu d’ombres. La roseraie est méconnaissable car elle se confond avec le mur, qui se confond lui-même avec les murs des maisons voisines, que la lumière des lampadaires transfigure. Et l’ensemble se vaporise dans l’obscurité. Les formes des choses qu’il connaît par cœur depuis qu’il est né – depuis neuf ans ! – ont été effacées.
Le vent secoue le paysage, mais les ombres noires ne se détachent pas des objets, elles semblent collées à eux. Ébahi, l’enfant pose son regard sur les branches les unes après les autres pour réapprendre chaque couleur et chaque forme. Soudain, il sursaute de peur, comme si l’on venait de le pincer, ainsi que le fait parfois sa mère : la manche de son pyjama effleure le réveil, qui tombe du rebord de la fenêtre ! Mais l’enfant tousse pour couvrir le bruit qu’il fait en s’écrasant sur le sol. Une affreuse toux de chien malade, qui s’entend à travers la porte. La mère accourt à son chevet avec un sirop au miellat. Elle pose sa main sur son front, aplanit à nouveau la couverture sur sa poitrine et s’en va. Cette toux traverse la nuit, éclabousse toutes les heures.
Il était dix heures quarante-six la dernière fois qu’il avait regardé le réveil, maintenant cassé, qu’il tient contre lui sous les couvertures. Comme il sent que la menace de la mère est à présent écartée, il le sort et l’examine à la lueur de la fenêtre. La grande aiguille ne bouge pas, alors que la trotteuse se démène dans l’effort vain de poursuivre son ascension du cadran à peine commencée. L’aiguille tressaute, à chaque minute elle avance d’un trait, mais elle revient tout de suite après à sa position précédente, où elle reste bloquée.
L’enfant ne sait pas combien de temps s’est écoulé depuis que le réveil est tombé par terre. Il prend alors le matériel scolaire qui était resté dans son cartable pour les vacances, et il griffonne dans un cahier une multiplication, qu’il effectue soigneusement. Il a la bosse des maths. Un combat s’est engagé contre les secondes qui s’écoulent maintenant dans un absolu silence, et sous la faible lumière qui entre par la fenêtre, il arrive à la conclusion qu’il devra compter jusqu’à quasiment cinq mille !
Il est retourné sous les couvertures, blotti contre le vieux réveil. Il ferme les yeux. 331, 332, 495, 517... Il est fier : « je suis plus rapide que les secondes ! » Mais petit à petit, la marche accélérée du temps, que lui-même dicte, commence à s’enrayer, à se perdre dans l’obscurité. La réalité s’égare dans les ténèbres. Il imagine son corps en dehors des murs de sa chambre. D’ailleurs, quelle distance sépare le lit de l’armoire ? Et s’il venait à l’idée d’un affreux rat de se frotter contre sa petite joue délicate ? Il se tourne sur le côté, étire ses bras, les place ensemble entre ses genoux, comme s’il cherchait à s’abriter en lui-même. Confort : oreiller moelleux, couverture sentant bon l’adoucissant, ronflement familier du père. Ainsi se met en place le scénario qui compose presque toutes ses nuits. Ses bras glissent le long de sa poitrine, les doigts relâchent leur pression et laissent s’échapper le rosaire. Il a un peu peur de l’enfer. Mais quelle douce obscurité, quelles ténèbres délicieuses, et dans la rue en contrebas, le ronronnement d’un moteur de voiture lui fait l’effet d’une caresse.
Lorsque le matin, il se réveille, il fait déjà grand jour, dans la cuisine on s’affaire depuis des heures, la cocotte-minute fait entendre son murmure, l’eau coule bruyamment dans l’évier. Les yeux douloureux, il regarde à travers les rideaux le jardin familier, la roseraie baignée de soleil et le linge suspendu à l’étendoir. Il cache son réveil déglingué dans le cartable flasque, qui attend les livres qui seront achetés à la rentrée. Comment expliquer que le réveil a disparu de la cuisine ? La mère a déjà dû remarquer son absence, étant donné que toutes les activités du matin sont réglées par le mouvement de ses aiguilles.
Pour sa surprise, sa mère n’en touche pas un mot pendant le petit-déjeuner, malgré le vide flagrant que son absence laisse sur le buffet. La radio allumée fournit la mesure du temps qui permet d’organiser les tâches ménagères. L’enfant se demande alors s’il doit remettre le réveil à sa place. Il réfléchit à la question en silence pendant quelques minutes, tout en regardant le mélange de lait et de flocons de céréales, qui disparaît graduellement de son bol en plastique. Il prend finalement la décision de ne rien décider. Il se lève de sa chaise d’un bond et se rue vers la cour, en imitant avec ses lèvres le bruit d’un moteur de voiture.
L’enfant profite de sa journée pour se préparer : il dort quinze minutes sur la table de mini football pendant la mi-temps de la partie ; il reste une minute de plus allongé sur la pelouse, lorsque son adversaire invisible commet une faute sur lui dans un simulacre de match ; il médite quelques heures au milieu de la poussière et des vieilles revues dans le grenier, où il se cache au cas où sa mère se serait mise en tête de le chercher.
Le soir, alors que la deuxième télénovela se termine, il s’avise qu’il devra bientôt vider les lieux. Il se dit que sa mère est fort occupée avec le bébé, si bien qu’il demande l’heure à son père. Il veut savoir combien de temps il lui reste à attendre. Neuf heures vingt-cinq, lui dit son père à haute et intelligible voix. Sa mère est-elle sa complice tacite ? Le bébé est enfin calme, sa mère l’emmène dans leur chambre et le dorlote dans son berceau placé près de leur lit double. Il dormira aussi longtemps qu’il le voudra, aussi longtemps qu’il ne sera pas dérangé par la faim, la soif, la peur ou par le contact désagréable de sa couche souillée. Il se réveillera à l’heure qu’il veut, se dit l’enfant en pensant à son petit frère, et peut-être même à minuit. A cette pensée, il se sent relégué dans des limbes exigus, pris en tenaille entre le monde libre des bébés et l’univers des adultes, où tout est permis.
Le parquet crisse sous les pas de sa mère qui revient et il demande à nouveau l’heure à son père : il est neuf heures trente-trois.
Il se brosse les dents en comptant les secondes. Il souhaite bonne nuit à la cousine, puis dans sa chambre, une fois sous ses couvertures, il embrasse sa mère, mais il ne s’arrête pas de compter. Seul dans l’obscurité, il continue, intercale pieusement entre chaque chiffre un mot de sa prière du soir. Lorsqu’il s’est acquitté de son obligation religieuse, il en est à 867. Il s’approche de la fenêtre. La ligne que décrit le rebord passe à la hauteur de son nez, laissant sa bouche immergée. Il étire alors son corps dans un effort pour faire participer tous ses sens. Il reste figé dans cette position, alors que les nombres deviennent gigantesques, stratosphériques, et il regarde, émerveillé, le jardin dont les formes sont modifiées par la nuit.
La lumière du jour ne cesse de changer, le soleil clignote sans trêve, il entre et sort de scène, turbulent, inconstant, et ses couleurs se modifient à chaque instant. Pourtant rien de cela ne rivalise avec la nuit, avec ses couleurs immuables ou presque, qui ne changent qu’imperceptiblement. Et cette modification si subtile, qui contraste avec l’écoulement minuté du temps, l’enfant la guette, les deux mains et le menton posés sur le rebord de la fenêtre.
Il cherche dans l’air, qu’il hume précautionneusement, les signes que minuit approche. La nuit sera-t-elle plus noire ou au contraire plus claire ? Sera-t-elle plus froide ? Minuit sera-t-il annoncé par le fracas des tambours ou précédé par une pause solennelle? Ou par une sirène qui retentira au loin ? Les animaux et les plantes feront-ils une grande manifestation, marcheront-ils sous l’étendoir à linge à présent sans destination, ni occupant, ou se borneront-ils à observer un silence respectueux ? Il est peut-être vrai, comme on le dit, que des fantômes défilent, et à cette pensée, un frisson lui glace la nuque. Fantômes, apparitions, âmes errantes, de quelles couleurs sont-ils ? Certains disent qu’ils sont d’un blanc aussi opaque que le lait, d’autres qu’ils sont transparents, et dans ce cas, ils se confondraient avec l’arrière-plan, autrement dit, ils deviendraient noirs. Ou ces esprits sont-ils pareils à des corps gazeux et à la fumée, dont les couleurs estompées tendent à être plus diffuses encore à mesure qu’ils se meuvent dans l’air. Au cas où ils surviendraient, il doit être prêt : il se peut qu’il y ait, à la suite du cortège, l’âme de son petit chien adoré, qui a naguère été enterré dans un coin du jardin, au pied du mur.
Il se heurte à tant de difficultés à la fois ! En plus du décompte des secondes, qui le fait approcher des nombres jamais atteints, sa nuque est parcourue par ce frémissement de peur qui ne le quitte pas, son corps qu’il étire lui fait souffrir le martyre et la vitre est couverte de buée à cause de son souffle. Mais surtout il y a le sommeil qui profite de sa concentration défaillante pour s’insinuer en lui. Ainsi, parvenu au chiffre vertigineux de 3 976, déjouant tous ses pronostics, il s’endort.
Il se réveille en sursaut. Il a rêvé que le matin était levé et que des flots de lumière, qu’il essayait en vain d’arrêter, entrer par la fenêtre. Puis il entendait les bruits venus de la cuisine, l’eau, les casseroles, la mère qui se râcle la gorge. Mais il se rend à présent compte qu’il fait encore nuit. La question est de savoir qu’elle est cette sorte de nuit, qui se tient immobile devant lui. Lorsqu’on n’a pas de réveil dans le noir, on est comme un chien perdu au milieu du bois.
Il est inutile de se remettre à compter. Le paysage de l’autre côté de la vitre n’a apparemment pas changé : branches et feuilles bercées par le vent, points jaunes accrochés aux lampadaire, œil blanc à moitié fermé de la lune. Il est impensable que minuit soit passé pendant qu’il était assoupi, sans quoi il lui aurait fallu rester dans une position tout à fait inconfortable pendant un temps dont il n’est pas capable. Il en déduit qu’il est aux alentours de minuit. Il est attentif à la texture du ciel et à la composition de l’air, qui commenceront bientôt à se modifier jusqu’à devenir méconnaissables.
Le temps passe.
Le temps passe encore et rien ne se passe. Le jour secrète ses propres humeurs et états d’esprit, alors que la nuit est un bloc monolithique.
L’enfant quitte la chambre, il prend soin à ce que le parquet ne grince pas sous ses pas, il palpe les meubles à l’aveuglette, réprime la toux qui lui chatouille la gorge. Puis il entre dans la cuisine sur la pointe des pieds et il trouve la radio, qu’il allume en mettant le volume très bas. C’est l’un de ces modèles anciens, qui n’affichent pas l’heure, mais l’annoncent verbalement entre deux chansons. Pour le moment elle ne diffuse pas de musique, seulement des palabres interminables, un long dialogue trop bas pour qu’on puisse le suivre. Aussi doit-il attendre. Il croit reconnaître un jeu de questions et réponses. Ensuite viennent les infos de la nuit.
Enfin, la radio annonce qu’il est onze heures quarante-huit. Il reprend immédiatement le décompte des secondes, comme dans un combat de boxe ou un match de basket. Cette fois, les chiffres se succèdent dans sa tête à la cadence des battements de son cœur étreint par l’angoisse. Il se dirige vers sa chambre ; il est obligé de marcher avec prudence, à contretemps avec le reste de lui-même. Il arrive à la fenêtre et là il contemple la nuit. C’est toujours la même, de sorte qu’il doute si la radio lui a annoncé la bonne heure, mais il en douterait tout autant si une montre le lui avait donné. Alors, les genoux posés sur la chaise, il ouvre la fenêtre avec impatience mais lenteur à cause de sa maigre force physique. Les ventaux coulissent doucement avant de se bloquer : la chambre est envahie par la nuit, par son vent frais, ses arômes et ses vers luisants qui scintillent. Il reste une minute avant minuit. Il est parcouru par un frémissement qui s’explique certainement par son attachement viscéral à la nature, car il est lui aussi fait de branches, de rosée, de feuilles et de pierres. Il commence à compter plus lentement, grisé par les odeurs du jardin. Soixante mornes secondes plus tard, il comprend que minuit est l’heure secrète où limaces et jasmins se réunissent pour s’épancher. Les couleurs sombres resplendissent, mais leurs vibrations ne sont pas perceptibles par les créatures diurnes. Le silence du jardin s’ajoute au silence de la maison. L’un est agité, vivant, rempli d’une profusion de bruits imprévisibles, tandis que l’autre est coincé entre les ronflements du père et les soupirs du bébé – seule la mère a appris l’art de la sublimation, même inconsciente. Envahi par le silence, les senteurs et la noirceur de la nuit, la chambre de l’enfant n’appartient plus à la maison, elle a été annexée par le monde extérieur. Minuit est en réalité l’heure de la nuit extrême.
Mais minuit ne dure qu’une seconde, ou une minute, et il est inutile d’attendre toute la nuit pour en connaître le fin mot. Alors, le visage caressé par un vent bienveillant, satisfait d’avoir déchiffré l’énigme, il descend du rebord de la fenêtre et, de retour sous ses draps, son corps reprend sa position immobile. Au plus profond de lui-même, il sait que la nuit est une statue, qui reste figée entre huit heures du soir et cinq heures du matin. Il dort tranquille.
Mário Araújo
Traduit du portugais (Brésil) par Stéphane Chao

Mário Araújo est né à Curitiba, Brésil. Il est l’auteur de recueils de nouvelles, dont "L’Heure extrême" distingué par le prix Jabuti, le plus important prix littéraire brésilien. Ses nouvelles ont été publiées dans des revues et des anthologies en Allemagne, Espagne, Finlande, Mexique et Etats-Unis. Il est diplomate de carrière.