SUR LA LUMIÈRE
Chambre noire
CURIOSITÉS
Raymond Roussel







































































Blaise Cendrars sur Robert Delaunay
CHAMBRE NOIRE
« Ce que j’écrivais était entouré de rayonnements, je fermais les rideaux, car j’avais peur de la moindre fissure qui eût laissé passer les rayons lumineux qui sortaient de ma plume, je voulais retirer l’écran tout d’un coup et illuminer le monde […] Mais j’avais beau prendre des précautions, des rais de lumière s’échappaient de moi et traversaient les murs, je portais le soleil en moi et je ne pouvais empêcher cette formidable fulguration de moi-même. Chaque ligne était répétée à des milliers d'exemplaires et j'écrivais avec des milliers de becs de plume qui flamboyaient.»
Extrait d'une lettre de Raymond Roussel au docteur Pierre Janet. In Dr. Pierre Janet, 1926, De l'Angoisse à l'Extase, Tome I, Librairie Félix Alcan.




« Cependant la nuit s'épaississait peu à peu, et les aspects, les sons et le sentiment des lieux se confondaient dans mon esprit somnolent ; je crus tomber dans un abîme qui traversait le globe. Je me sentais emporté sans souffrance par un courant de métal fondu, et mille fleuves pareils, dont les teintes indiquaient les différences chimiques, sillonnaient le sein de la terre comme les vaisseaux et les veines qui serpentent parmi les lobes du cerveau. Tous coulaient, circulaient et vibraient ainsi, et j'eus le sentiment que ces courants étaient composés d'âmes vivantes, à l'état moléculaire, que la rapidité de ce voyage m'empêchait seule de distinguer. Une clarté blanchâtre s'infiltrait peu à peu dans ces conduits, et je vis enfin s'élargir, ainsi qu'une vaste coupole, un horizon nouveau où se traçaient des îles entourées de flots lumineux. Je me trouvai sur une côte éclairée de ce jour sans soleil, et je vis un vieillard qui cultivait la terre. Je le reconnus pour le même qui m'avait parlé par la voix de l'oiseau, et, soit qu'il me parlât, soit que je le comprisse en moi-même, il devenait clair pour moi que les aïeux prenaient la forme de certains animaux pour nous visiter sur la terre, et qu'ils assistaient ainsi, muets observateurs, aux phases de notre existence. »
Gérard de Nerval,
1855, Aurélia, IV, Revue de Paris.





« Mon créneau me rappelait le trou pratiqué par mon ami Robert Delaunay, le peintre de la tour Eiffel, dans les volets pleins qu’il avait fait apposer sur fenêtres et verrière pour transformer son atelier d’artiste (un salon très bourgeois) en chambre noire le jour où certains problèmes de la peinture moderne se mirent à lui turlupiner l’esprit et, notamment, le « contraste simultané » comme il appelait sa nouvelle technique de peintre pour faire pendant au « béton armé » terme qui l’avait frappé et qu’employaient de plus les architectes-esthètes d’esprit-nouveau.
Delaunay était un primaire et voici comment il travaillait :
« Il s’enferma dans une chambre noire, dont il cloua les volets. Ayant préparé sa toile et broyé ses couleurs, il pratiqua avec un vilebrequin un petit trou dans le volet. Un rayon de soleil filtra dans la chambre noire et il se mit à le peindre, à l’étudier, à le décomposer, à l’analyser dans ses éléments de forme et de couleur. Sans le savoir il s’adonnait à l’analyse spectrale. Il travailla ainsi pendant des mois, étudiant la lumière solaire pure, atteignant des sources d’émotion en dehors de tout sujet. Puis il élargit un peu le trou du volet et se mit à peindre les jeux de couleurs sur une matière transparente et fragile comme la vitre. Reflets, micassures ; ses petites toiles prenaient un aspect synthétique de joyaux et Delaunay faisait entrer dans les couleurs qu’il broyait des pierres précieuses, avant tout, comme Fra Angelico, du lapis lazuli pulvérisé. Bientôt le trou pratiqué dans le volet devint si grand, que Delaunay ouvrit complètement les vantaux et qu’il laissa entrer dans la chambre toute la lumière du jour. Les toiles de cette époque, qui sont déjà un peu plus grandes de format, représentent des fenêtres fermées où la lumière se joue dans les vitres et dans les rideaux de mousseline blanche. Enfin, il tira les rideaux et ouvrit la fenêtre : on voit un trou béant lumineux et le toit de la maison d’en face à contre-jour, dur et solide, une première forme mastoc, angulaire, inclinée… » »
Blaise Cendrars, dans Le lotissement du ciel, « La tour Eiffel sidérale » (1949), cite un passage sur Delaunay qu’il a écrit dans Aujourd’hui, 1931, Folio ed. Gallimard.

































Gérard de Nerval