SUR LA LUMIÈRE
Les lustres de Jean-Philippe Toussaint



























































































































































Photo, Jean-Philippe Toussaint
Courtesy J.Ph Toussaint
Deux passages sur les trois lustres de l’hôtel, à Tokyo, dans Faire l’amour, (2002-2009, éditions de Minuit) suivis de leurs variantes.

Extrait 1 p. 14
A Tokyo, nous étions montés immédiatement dans notre chambre, nous avions traversé sans un mot le grand hall désert aux lustres de cristal illuminés, trio de lustres éblouissants qui se mirent à se balancer doucement sous nos yeux au moment même où nous rentrions à l’hôtel, les lustres se mettant à osciller sur eux-mêmes comme des cloches de cathédrales s’ébrouant lentement sur notre passage dans un cliquetis de verre et de cristal qui accompagnait l’irrésistible mouvement de détresse de la matière qui faisait trembler le sol et vibrer les murs puis, l’onde passée, la lumière ayant vacillé au plafond en plongeant un instant l’hôtel dans l’obscurité, les lustres, encore en mouvement, se rallumèrent en plusieurs temps dans le hall et se remirent en place dans le frissonnement à rebours de milliers de paillettes de verre transparentes retrouvant peu à peu leur immobilité.

Extrait 2 p. 87
Nous quitâmes la chambre et nous prîmes l'ascenseur, nous étions côte à côte dans l'étroite cabine de verre transparent qui descendait au coeur de l'atrium de l'hôtel et je regardais les lustres immobiles dans le hall, trois lustres d’une amplitude spectaculaire, trois à quatre mètres d’envergure et près de huit à dix mètres de haut, leur forme évoquait des flacons de liqueur ou d’alcool blanc, des salières en baccarat, des carafes de vin aériennes aux reflets irisés, étroits au sommet et s’évasant de plus en plus à mesure qu’on descendait le long de leur corps, pour devenir presque ronds à la base, enveloppés, féminins, et, malgré la rigueur de leurs lignes, leur éclat avait quelque chose de fluide et d’aquatique, et c’était peut-être à des gouttes d’eau géantes finalement qu’ils faisaient le plus penser, ou à des larmes, mon amour, trois gigantesques larmes de lumière étincelantes qui pendaient là en suspension dans le hall de l’hôtel dans un poudroiement de paillettes et de nacre.


Etats du manuscrit

extrait 1
A Tokyo nous étions remontés immédiatement dans notre chambre sans un mot dans le grand hôtel silencieux aux lustres de cristal illuminés dans le hall principal, trio de lustres éblouissants, quʼun très léger tremblement de terre fit soudain se balancer doucement sous nos yeux au moment même où nous entrions dans lʼhôtel, les lustres se mettant à osciller dans le grand hall désert comme des cloches de cathédrale sʼébrouant lentement sur notre passage dans un cliquetis de verre et de cristal qui accompagnait lʼirrésistible grondement de détresse de la matière, puis, lʼonde passée, la lumière ayant vacillé au plafond en plongeant un instant lʼhôtel dans lʼobscurité, les lustres, encore en mouvement, se rallumèrent en plusieurs temps dans le hall et se remirent en place dans le frissonnement à rebours de milliers de paillettes de verre transparentes retrouvant peu à peu leur immobilité.

extrait 2
Lorsque, au sortir de la piscine, je descendis dans le hall pour aller chercher le fax à la réception, mes yeux encore accoutumés à la lumière tamisée du vingt-cinquième étage furent violemment éblouis par le scintillement des lustres de lʼentrée, trio de lustres dʼune amplitude spectaculaire, trois à quatre mètres dʼenvergure et près de huit à dix mètres de haut. Leur lumière tombait du plafond dans un poudroiement de paillettes et de nacre. Peut-être sʼagissait-il de répliques de lustres célèbres, de Versailles ou de Windsor, je nʼen avais aucune idée, leur forme évoquait des flacons de liqueur ou dʼalcool blanc, des carafes de vin aériennes aux reflets irisés, étroits à la base et sʼévasant de plus en plus à mesure quʼon descendait le long de leur corps, pour devenir presque ronds à la base, enveloppés, féminins. Quatre cercles dʼacier, parallèles, les enserraient chacun étroitement, et, malgré la rigueur de leurs lignes, leur éclat avait quelque chose de fuyant et dʼaquatique, et cʼétait peut-être à des gouttes dʼeau géantes finalement quʼils faisaient le plus penser, ou à des larmes, trois gigantesques larmes de cristal en suspension dans lʼespace de cet hôtel désert.


Etats du manuscrit

Extrait 1
A Tokyo, nous étions remontés immédiatement dans notre chambre sans un mot dans le grand hôtel silencieux aux lustres de cristal illuminés dans le hall principal, trio de lustres éblouissants, qu’un très léger tremblement de terre fit soudain se balancer doucement sous nos yeux au moment même où nous entrions dans l’hôtel, les lustres se mettant à osciller dans le grand hall désert comme des cloches de cathédrale s’ébrouant lentement sur notre passage dans un cliquetis de verre et de cristal qui accompagnait l’irrésistible grondement de détresse de la matière, puis, l’onde passée, la lumière ayant vacillé au plafond en plongeant un instant l’hôtel dans l’obscurité, les lustres, encore en mouvement, se rallumèrent en plusieurs temps dans le hall et se remirent en place dans le frissonnement à rebours de milliers de paillettes de verre transparentes retrouvant peu à peu leur immobilité.

Extrait 2
En sortant des ascenseurs, mes yeux, encore accoutumés à la lumière tamisée des étages, furent violemment éblouis par le scintillement des lustres de l’entrée, trio de lustres d’une amplitude spectaculaire, trois à quatre mètres d’envergure et près de huit à dix mètres de haut, peut-être s’agissait-il de répliques de lustres de collection, je n’en avais aucune idée, leur forme évoquait des flacons de liqueur ou d’alcool blanc, des salières en baccarat, des carafes de vin aériennes aux reflets irisés, étroits au sommet et s’évasant de plus en plus à mesure qu’on descendait le long de leur corps, pour devenir presque ronds à la base, enveloppés, féminins. Quatre cercles d’acier parallèles les enserraient chacun étroitement, et, malgré la rigueur de leurs lignes, leur éclat avait quelque chose de fuyant et d’aquatique, et c’était peut-être à des gouttes d’eau géantes finalement qu’ils faisaient le plus penser, des gouttes d'eau, ou d'acide, ou à des larmes, mon amour, trois larmes de cristal en suspension dans l’air, trois gigantesques larmes de lumière étincelantes qui pendaient fragilement au plafond dans un poudroiement de paillettes et de nacres et se mirent soudain à trembler au-dessus de moi dans un ébranlement de forces incontrôlées, et je vis soudain ces trois lustres de cristal se balancer au plafond et vaciller dans l'air, prêts à se détacher de leurs frêles amarres pour venir s’écraser au sol dans une gerbe de verre au fracas infernal.


Plans, variantes, débris

Autres débris
, trois lourdes larmes de lumière étincelantes qui se mirent soudain à trembler au-dessus de moi de toutes leurs paillettes de verre dans un ébranlement de forces incontrôlées, et je vis soudain ces trois lustres de cristal vaciller au plafond, prêts à se détacher de leurs frêles amarres pour venir s’écraser sur moi dans une gerbe de verre au fracas infernal.


Premiers débris
, trois lourdes larmes de lumière étincelantes qui se mirent soudain à trembler au-dessus de moi de toutes leurs paillettes de verre dans un ébranlement de forces incontrôlées, et je vis soudain ces trois lustres de cristal vaciller au plafond, prêts à se détacher de leurs frêles amarres pour venir s’écraser sur moi dans une gerbe de verre au fracas infernal.


La main et le regard
Photo des trois lustres publiée dans La Main et le regard aux éditions du Passage.
Mode d'emploi: en faisant glisser l'image avec "l'ascenseur" de la page web, vous pouvez reproduire le trajet de l'ascenseur à partir duquel le narrateur découvre les lustres, du haut jusqu'en bas; au contraire du narrateur, vous avez le pouvoir d'inverser, de ralentir, d'accélerer le mouvement de découverte.










































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L'écoute et le regard
L'extrait 2 est lu par Jean-Philippe Toussaint, dans le film Faire l'amour, une lecture japonaise. À voir et à entendre sur youtube (à partir de 1 minute 14 secondes).

L'image capturée correspond au moment où l'on entend «...et s'évasant de plus en plus à mesure qu'on descendait le long de leur corps... »




Remerciements à Jean-Philippe Toussaint qui nous a communiqué les documents et donné l'autorisation de les publier.


























Février 2001 Ostende


































Juin 2001 (Barcaggio)





































Février 2001







Fin juin 2001